dimanche 21 juin 2015

Comtes de Champagne (6)

Henri II 1187-1197, roi de Jérusalem 1192-1197

Né le 29 juillet 1166, Henri n'est pas majeur au décès de son père, Henri Ier le Libéral, le 16 mars 1181 et c'est la comtesse Marie qui continue la régence qu'elle a commencée en 1178. Cette régence est juste marquée par une estocade contre le roi de France Philippe Auguste en association avec le comte de Flandre. Mais la comtesse se retire et le comte de Flandre est forcé d'abandonner Amiens et le Vermandois.
Avec les anglais, Philippe Auguste reprend la politique de son père qui consistait à stimuler l'ambition des fils d'Henri II dit le Plantagenet. L'ainé Henri qui était déjà couronné roi d'Angleterre est décédé en 1183. Il fait le deuxième, Geoffroi, sénéchal de France mais celui-ci décède en juillet 1186 et donc il se rapproche de Richard.

Henri fait une tentative pour épouser l'héritière du comté de Namur et du Luxembourg mais il se heurte à l'hostilité conjointe de Frédéric Barberousse, empereur d'Allemagne, et de Philippe Auguste qui, ni l'un ni l'autre, souhaitent avoir un vassal aussi puissant.

En 1188, Henri II participe à l'ost contre Henri Plantagenet où Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion chevauchent côte à côte. Après la prise d'Angers, Tours et Le Mans le Plantagenet fait sa soumission début juillet 1189 et meurt le 6 juillet. La guerre terminée, les deux rois décident de partir ensemble en Terres Saintes. En effet, après le désastre de Hattîn, il ne reste plus aux francs que Tyr dont Saladin lève le siège le 1er janvier 1188.

Henri prend aussi la croix (à cette époque cela veut dire partir pour la croisade). Avant de partir, il fait jurer à ses barons réunis à Sézanne de reconnaître son frère Thibaud comme son héritier s'il ne revenait pas et il nomme sa mère, la comtesse Marie, régente.
A la fin de l'été 89, Gui de Lusignan a entrepris le siège d'Acre. Henri et les champenois débarquent le 27 juillet 1190. Il n'y a aucune nouvelle de Frédéric Barberousse qui est pourtant parti avec son armée à l'été 89. Henri de Champagne est tout de suite nommé responsable du siège en remplacement de Gui de Lusignan dont ses hommes ont perdu toute confiance en lui.
Frédéric de Souabe, le fils de Barberousse, arrivera plus tard avec les débris de l'armée. Barberousse est mort noyé en traversant le Sélef à quelques pas de la Terre Sainte et, découragée, une grande partie de ce qui restait de son armée a rebroussé chemin.
Le 30/03/1191, Philippe Auguste part le premier de Sicile et arrive 20 jours après. Richard arrive deux mois plus tard, le temps de conquérir Chypre dont le prince avait eu la mauvaise idée de prendre en otage le bateau de sa sœur. Avec ces renforts, principalement celui de Richard, Acre tombe le 13 juin 1191. Richard paye à Henri en argent comptant ses frais de siège alors que Philippe Auguste lui proposait une hypothèque sur la Champagne (Richard comme Philippe sont tous les deux les oncles d'Henri).
Sibylle, reine de Jérusalem est décédée pendant le siège d'Acre et Gui de Lusignan n'a plus aucun droit sur la couronne. Isabelle, la demi-sœur de Sibylle est mariée à Onfroi de Toron mais les barons francs estimant qu'il n'a pas la carrure pour porter la couronne, l'écartent et après bien des bagarres entre français et anglais, décident qu'elle épousera Conrad de Montferrat. Une fois le problème de la couronne de Jérusalem réglé, Philippe Auguste surprend tout le monde le 28 juillet 1191 en décidant de rentrer en France. Henri est l'un des garants du serment qu'il fait à Richard de ne pas nuire au roi d'Angleterre tout "le temps qu'il sera en Terres Saintes" (si il a à peu près respecté ce serment le temps que Richard était en Terres Saintes, Philippe agira franchement contre l'Angleterre, aidé de Jean Sans Terre, pendant les deux ans où Richard sur le retour sera le prisonnier de l'empereur Henri VI).
Mais au printemps 1192, Conrad de Montferrat est mortellement poignardé à Tyr. Henri est l'homme providentiel qui réunit les espérances de la France et de l'Angleterre. Il épouse le 5 mai 1192 Isabelle, héritière de la couronne et devient ainsi roi de Jérusalem. Certes la mariée est belle, mais il n'a aucun espoir sur la succession puisqu'elle est déjà enceinte (voir la généalogie des rois de Jérusalem). Quand à Gui de Lusignan, il rachète Chypre à Richard et ainsi sa famille y régnera jusqu'au XVIe siècle. Malgré ses nombreuses victoires, Richard Cœur de Lion a appris à connaître Saladin et sait qu'il ne le vaincra jamais totalement. Aussi après la prise de Jaffa, il signe une trêve de trois ans et rentre en promettant de revenir, ce qu'il n'aura jamais l'occasion de faire.

Pour Henri, la gestion du royaume de Jérusalem n'est pas une mince affaire. Il doit se battre contre les marchands italiens qui pour conserver leurs comptoirs sont les bailleurs de fonds mais veulent aussi tout commander. Il se bat aussi contre Amaury de Lusignan (le frère de Gui) qu'il emprisonne d'abord et libère ensuite en prévoyant avec lui le mariage de sa fille Alix avec son fils ainé Hugues; Alix sera ainsi reine de Chypre et aura dans ses descendants les deux derniers rois de Jérusalem. Saladin décède le 5 mars 1193 et Henri continue la même politique de paix.
Mais le 24 mai 1195, l'empereur Henri VI prend la croix. L'avant-garde germanique se comporte avec arrogance et les bruits d'armes réveillent les musulmans qui attaquent Jaffa : c'est à nouveau la guerre. Henri II de Champagne, roi de Jérusalem, décède à l'âge de 34 ans le 10 septembre 1197 en tombant "accidentellement" de la plus haute fenêtre de son château d'Acre; il n'y aura pas d'enquête ! C'est Amaury de Lusignan, roi de Chypre qui épouse Isabelle de Jérusalem et dès la mort de l'empereur et la dispersion de son armée, il s'empresse de rétablir la trêve avec le sultan.

Ces cinq ans passés par Henri II à la tête du royaume de Jérusalem vont coûter très cher à la Champagne. Déjà la comtesse Marie a ponctionné les revenus de la Champagne pour soutenir financièrement son fils pendant cinq ans mais il y a aussi le testament que celui-ci avait signé avant de partir, faisant de son jeune frère Thibaud son héritier s'il ne revenait pas. Et les deux filles qu'Henri a eues avec Isabelle, Alix et Philippine, feront payer très cher leur renonciation à l'héritage de leur père.


Régence de Marie de France, 1197-1198

Au décès d'Henri, son frère Thibaud né en 1179, n'a pas encore l'âge de régner. C'est donc la comtesse Marie qui continue sa régence mais elle décède le 5 mars 1198.
Philippe Auguste est alors en proie à une coalition formée autour de Richard Cœur de Lion, coalition où on retrouve plusieurs proches de Thibaud comme son beau-frère, Baudouin IX comte de Flandres ou Louis de Blois son cousin et vassal. Soucieux de l'attirer à lui, Philippe Auguste le reçoit en hommage à Melun en avril 1198.

Thibaud III, 1198-1201

En janvier 1199 le pape Innocent III impose une trêve de 5 ans alors que Philippe Auguste à bout de force a perdu toutes ses conquêtes sauf Gisors. Mais Richard Cœur de Lion meurt d'une flèche perdue le 25 avril 1199. C'est Jean Sans Terre qui lui succède et sa médiocrité (supposée) fait ressortir Aliénor d'Aquitaine de Frontevrault où elle était retirée depuis 5 ans. Elle obtient comme garantie de la paix le mariage du futur Louis VIII avec sa petite-fille, Blanche de Castille. Le mariage a lieu le 23 mai 1200 en Normandie car le royaume de France est frappé d'interdit à cause de la liaison coupable de Philippe Auguste avec Agnès de Méranie.

Thibaud III a épousé le 1er juillet 1199 à Chartres Blanche de Navarre, sœur du roi de Navarre Sanche VII le Fort et de Bérangère, la veuve de Richard Cœur de Lion. Au tournoi qu'il organise pour fêter son mariage, Thibaud surprend tout le monde en faisant un appel à la croisade. C'est le maréchal Geoffroi de Villehardoin qui va traiter avec les vénitiens le passage en bateau, le départ étant prévu pour la saint Jean 1202. Quand celui-ci revient le comte est malade et il décède le 24 mai 1201. Sa femme Blanche devient régente; elle est mère d'une fille Marie et enceinte d'un deuxième enfant, le futur Thibaud IV.

Quant à la croisade prêchée par Thibaud, elle n'ira jamais en Terres Saintes et aboutira à la prise de Constantinople en 1204 dont son beau-frère le comte de Flandre deviendra empereur.

mardi 24 mars 2015

Les comtes de Champagne (5)

Henri Ier Le Large ou Le Libéral 1151-1181

En 1151, le paysage politique change, le 11 janvier, décès de Thibaud II, le 13 janvier, décès de Suger abbé de Saint Denis, principal conseillé de Louis VII, en fin d'année annulation du mariage de Louis VII et Aliénor. Elle se marie le 18/05/1152 avec Henri Plantagenet, 19 ans, qui devient le plus gros vassal du roi de France avec tout l'ouest de la Manche aux Pyrénées.

Sceau d'Henri le Libéral
Archives dép. de l'Aube 42 Fi 3
Dans la guerre qui s'engage, Henri de Champagne se range du côté de Louis VII. Le Plantagenet dégage facilement ses terres et débarque en Angleterre où il traite avec le roi Etienne qui le fait son héritier. En 1154, Henri Plantagenet et Aliénor sont couronnés à Westminster.
Louis VII se rapproche encore du comte de Champagne en lui promettant sa fille Marie (le mariage n'aura lieu qu'en 1164) et en promettant la deuxième, Alix, à son frère, Thibaud de Blois.
C'est la paix avec l'Angleterre car le Plantagenet a besoin de temps pour organiser son royaume et c'est aussi la paix en France par serment solennel des barons devant Louis VII.
Louis VII qui n'a toujours pas de descendant mâle et qui est peu porté sur la satisfaction des femmes (Aliénor l'appellera sa vie durant, mon moine roi) se marie en deuxièmes noces avec Constance de Castille qui décède en 1160 et avec Adèle de Champagne, la sœur d'Henri en troisièmes noces en 1160. Henri était déjà le gendre du roi, il devient aussi son beau-frère.
En 1159, Frédéric Barberousse, empereur germanique, nomme son propre pape et Alexandre III, pape officiel trouve refuge en France. Henri est chargé par le Pape et le roi de France de négocier avec l'empereur. Il en profite en 1162 pour rendre hommage à l'empereur et ainsi consolider ses frontières orientales. En 1164, c'est aussi lui qui est chargé de négocier avec le Plantagenet lorsque celui-ci  jette la première ébauche de l'église d'Angleterre et que Thomas Becket se réfugie en France. En 1169, il est à nouveau le médiateur nommé par le Saint Siège pour organiser la rencontre entre Louis VII et Henri II. Les trois fils d'Henri Plantagenet rendent hommage au roi de France, Henri pour l'Anjou, le Maine et la Normandie, Geoffroi pour la Bretagne, Richard pour le Poitou et l'Aquitaine (Jean n'a rien d'où son nom, Jean Sans Terre). En 1170, Henri est chargé d'organiser la nouvelle entrevue entre Henri II et Thomas Becket; celui-ci rentre en Angleterre à la Toussaint et est assassiné dans sa cathédrale le 29 décembre suivant.

Le comté de Champagne d'Henri Ier à Thibaud V


En mars 1173, le fils aîné d'Angleterre, Henri Le Jeune, se réfugie près de Louis VII qui le reconnaît aussitôt comme roi d'Angleterre ce qui entraîne aussitôt une guerre. Le Plantagenet est toujours le plus fort, même s'il a utilisé des mercenaires alors même que Louis VII et Frédéric Barberousse interdisant les mercenaires dans les guerres féodales. En 1174, Henri Le Jeune fait sa soumission à son père et en 1177, pour sceller leur réconciliation, Louis VII et Henri Plantagenet font vœu de partir ensemble en Terres Saintes. Ils ne le feront jamais et c'est leurs enfants qui exécuteront ce vœu.
En 1178, Henri, comte de Champagne et le comte de Flandre prennent la tête d'une expédition mais dès l'annonce de leur arrivée, Saladin s'empresse de signer une trêve de deux ans. En rentrant, Henri est fait prisonnier par les turcs et c'est Manuel Commère l'empereur de Constantinople qui paiera la rançon. Il rentre en février 1181, juste à temps pour prêter hommage à Philippe Auguste et revient à Troyes pour y mourir le 16 mars 1181.

Sous son règne, il y a une amélioration de l'organisation des foires qui voient arriver les italiens, d'abord les marchands puis ensuite les changeurs.
Henri était érudit et protecteur des Arts. La comtesse Marie a fait travailler Chrétien de Troyes mais c'est chez le comte de Flandre qu'il écrira le conte du Graal pas terminé à sa mort en 1190. Du Moyen-âge jusqu'à nous de nombreux auteurs proposeront une suite et une fin à cette quête du Graal.


La comtesse Marie et Henri le Libéral auront trois enfants : Henri II qui sera comte de Champagne après son père et roi de Jérusalem par mariage, Thibaud III qui sera comte après son frère et Marie qui épousera le comte de Flandres, futur empereur de Constantinople (c'est elle qui est enterrée à Coutançon).


Voir la généalogie des comtes de Champagne, leurs rapports avec la couronne d'Angleterre ou avec la couronne de France. Voir la chronologie des comtes par rapport aux souverains voisins.
Sources :
Le livre d'Henri Ehret : "Passe avant le meilleur" ou l'histoire de ces comtes qui ont fait la Champagne, aux éditions Renaissance, Troyes.
Le site Internet d'Arnaud Baudin : http://lamop-intranet.univ-paris1.fr/baudin/
Les livres d'Arbois de Jubainville : Histoire des ducs et comtes de Champagne, 7 volumes.
La thèse de Michel Bur : La formation du comté de Champagne, Nancy 1977.

jeudi 12 mars 2015

Les comtes de Champagne (4)

La comtesse Adèle était déjà régente depuis le départ de son mari en Palestine. Au décès de celui-ci en 1102,  elle le reste jusqu'à la majorité de Thibault en 1109 et gouverne dans la paix.

Particularité : Thibaud n'est pas l'aîné mais le deuxième fils du comte Etienne Henri et d'Adèle. L'aîné, Guillaume, a un handicap rédhibitoire à une époque où le chef doit pouvoir haranguer ses troupes, il est bègue. Il ne portera que le titre du fief de sa femme : seigneur de Sully (d'où descendance). Voir la généalogie des comtes de Champagne.


Thibaud II le Grand 1109-1151

A peine adoubé en 1107, Thibaud II rentre en guerre contre le futur roi, Louis VI Le Gros, puis avec, puis contre, difficile de suivre ces guerres incessantes où le comte Hugues, quand il n'est pas en Palestine, doit suivre Thibaud, son neveu et seigneur. En fait Thibaud est, la plupart du temps, l'allié de son oncle, Henri Ier Beauclerc roi d'Angleterre.
Tout change lors du désastre de la Blanche Nef  en décembre 1120. Henri Beauclerc veut passer Noël en Angleterre avec sa cour. Ils embarquent sur deux bateaux, les jeunes sur la Blanche Nef qui fait naufrage; il n'y a qu'un seul survivant etsurtout une centaine de morts dont le seul fils du roi d'Angleterre et de sa femme ainsi que plusieurs de ses enfants naturels et Mathilde de Blois, la sœur de Thibaud. Beaucoup croit au jugement de Dieu et de belliqueux, Thibaud deviendra un fervent chrétien (idem pour Henri Ier Beauclerc).
Il épouse en 1123 Marie de Carinthie (autrichienne) et en 1125, il reçoit l'héritage d'Hugues. Jusqu'en 1135 il mène une vie calme où il est l'ami de Saint Bernard.
Lorsque Henri Ier Beauclerc meurt en 1135, son seul descendant mâle n'est pas en âge de régner; il s'agit de son petit-fils Henri Plantagenet, fils de Geoffroi Plantagenet et de sa fille Mathilde surnommée l'Impératrice (plus pour son caractère que parce qu'elle est veuve de l'empereur Henri V). Les Sages anglais élisent Etienne, le frère cadet de Thibaud. La couronne aurait bien sûr dû revenir à l'aîné, Thibaud, mais Etienne vivait depuis toujours à la cour d'Angleterre et il dédommagera royalement son frère en lui versant la moitié du trésor d'Henri Beauclerc ainsi qu'une rente à vie. (Voir les liens des comtes de Champagne avec la couronne d'Angleterre)
Thibaud s'est rapproché du roi qui est à la fin de sa vie et c'est lui qui conduit le futur Louis VII à Bordeaux pour son mariage avec Aliénor d'Aquitaine. Louis VI le Gros meurt le 1er aout 1137, avant leur retour. Il laisse à son fils comme conseiller Thibaud II et Suger, abbé de Saint Denis. Mais Thibaud va se désolidariser rapidement de Louis VII qu'Aliénor entraîne dans des aventures désastreuses comme la guerre contre le comté de Toulouse qu'Aliénor revendique ou le mariage de sa sœur Pétronille avec Raoul de Vermandois, sénéchal de France (il était marié à une nièce de Thibaud qui n'aura pas de mal à obtenir du pape leur excommunication), ou encore la nomination de l'évêque de Bourges contraire à la réforme grégorienne, etc.
En 1142, sur l'instigation d'Aliénor, Louis VII déclare la guerre à Thibaud sous prétexte de rendre son héritage à Eudes, le fils déshérité d'Hugues (il avait quand même été doté par son oncle, le duc de Bourgogne, et sera la tête de la maison de Champlitte). Louis VII fait le siège de Vitry et donne l'ordre de le brûler. Il y aura 1300 morts dans l'église où les habitants s'étaient réfugiés, on entendra les cris jusqu'au camp du roi. La réponse de Thibaud n'est que diplomatique, il rend hommage au duc de Bourgogne pour Troyes, le Sénonais et l'Auxerrois et à l'évêque de Langres pour Bar-sur-Aube. Bernard, son ami et ambassadeur permanent plaide sa cause près du pape, de Suger, du roi lui-même mais Aliénor ne veut rien lâcher sur sa sœur Pétronille jusqu'au jour de 1144 où elle rencontre Bernard qui lui promet un enfant dans l'année si la guerre s'arrête.
Le massacre de Vitry est le tournant de la vie de Louis VII, il décide de prendre la tête d'une expédition en Terre Sainte. Cette croisade est prêchée par Saint Bernard. Thibaud n'y participe pas, c'est son fils aîné Henri qui accompagne le roi le jour du départ le 12 mai 1145. Henri sera fait chevalier par l'empereur de Constantinople mais malgré ses prouesses, l'expédition sera sans gloire. Henri y gagnera quand même l'amitié et l'estime du roi. Ils rentrent après avoir passé Pâques 1148 sur les lieux saints.
Thibaud II finit sa vie dans la piété et aurait, paraît-il, fait profession dans l'ordre cistercien avant sa mort le 11 janvier 1151.

Thibaud II est dit Le Grand, non pour ses victoires militaires, mais pour sa réussite économique. Sous son règne, les foires de Champagne deviennent des centres d'échange en gros entre marchands au long cour. Il y a trois foires à Provins, une à Bar-sur-Aube, une à Lagny, deux à Sézanne et trois à Troyes. Il allonge leur durée et tend à faire de la Champagne un lieu de foire continu. Il y ajoute la paix nécessaire au commerce et assure la sécurité des marchands même en dehors de la Champagne. Il offre toutes les commodités hôtelières et hospitalières aux marchands. Il supprime le denier troyen au profit du denier provinois (le titre de la monnaie ne changera pas pendant les trois comtes suivant). Les marchands de draps flamands vont faire des foires le marché européen du drap et leur rencontre avec les italiens en feront le centre économique de l'Europe.


Sous le règne de Thibaud II, la Champagne est devenue tellement importante qu'il va inverser l'ordre des héritages. L'aîné, Henri, aura la Champagne avec seigneurie sur tout le reste. Le second, Thibaud, aura Blois, Chartes et Châteaudun. Le troisième, Etienne, aura Sancerre.  Il faut ajouter les cinq filles bien mariées et son fils naturel, abbé de Lagny, la seule foire dont les bénéfices ne relèvent pas du comte mais uniquement de l'abbaye. La dernière fille, Adèle, va épouser Louis VII, le roi de France qui en est à sa troisième union sans garçon et va lui donner l'héritier tant attendu qui sera le futur Philippe Auguste.

mardi 3 février 2015

Comté de Champagne (3)

Etienne Henri 1089-1102

Henri est né en 1047. Bien avant sa mort, Thibaud Ier lui a donné en 1074 le gouvernement du comté de Blois. Il se marie avec Adèle, la fille ainée de Guillaume Le Conquérant. Comme son père, il va respecter scrupuleusement ses devoirs de vassal.
En 1089, à la mort de Thibaud 1er, il garde le comté de Blois, Château Thierry, Saint Florentin et Provins et il rajoute à l'héritage traditionnel le comté de Meaux (peut-être sur les conseils de son beau-père Guillaume le Conquérant et du coup le roi de France, Philippe Ier, délaisse Orléans pour se recentrer sur Paris) et il garde bien sûr la seigneurie sur tout le reste.
Philippe Ier vieillissant est en proie à une coupable passion pour Bertrade de Montfort (épouse du comte d'Anjou) et il s'enferme dans le sombre palais de la Cité à Paris (il est excommunié pour bigamie et inceste). Dans le même temps la cour de Blois brille de tous feux, la beauté et la culture de la princesse Adèle y attire de nombreux poètes. Le comte Etienne Henri est maitre d'un domaine beaucoup plus grand que celui du roi (il a soit disant un château par jour de l'année) et est sûrement plus puissant que le roi. Pourtant il rêve d'avoir plus et en 1095 ce rêve c'est Jérusalem, la Terre Sainte qu'il faut libérer des infidèles.
Le pape promettant de donner les terres à ceux qui les avaient conquises, il y avait déjà eu des croisades, principalement en Espagne, mais rien à voir avec celle qui restera dans l'histoire sous le nom de première croisade. Elle est prêchée par Urbain II à Clermont Ferrand, au cœur de la France, il en profite d'ailleurs pour réitérer l'excommunication de Philippe Ier. Les pauvres partent en premier et arrivent en 1096 à Constantinople, ils seront tous tués, aucun ne verra la Terre Sainte. Ensuite partent les chevaliers de Lorraine, Wallonie et Brabant conduits par Geoffroi de Bouillon. Puis l'expédition du comte de Toulouse. Puis les Normand (ceux d'Italie du sud). Et enfin les français du nord avec Robert Courteheuse, frère du roi d'Angleterre, Robert de Vermandois, frère du roi de France et Etienne Henri, comte de Champagne, bien sûr. Ils arrivent le 14 mai 1097 et commence le siège d'Antioche en octobre, il se prolongera jusqu'à Pâques 1098. Quand Etienne Henri apprend par ses éclaireurs l'arrivée de la grande armée turque de l'émir de Mossoul, il lève l'ancre avec une petite troupe. En passant à Constantinople, il annonce même à l'empereur que les francs ont été battus. De retour en Champagne, quelle honte pour lui d'apprendre que les francs doper par la découverte de la sainte lance ont bousculé l'armée de l'émir et dans la foulée pris Antioche le 3 juin 1098 puis Jérusalem le 15 juillet 1099.
Sa femme Adèle sera la première à le pousser à repartir, ce qu'il fera deux ans plus tard. Et il mourra en héros, face à Ramla en 1102, rachetant ainsi sa couardise. Sa mort donner pour la gloire de la Champagne fera du pèlerinage à Jérusalem un élément fort de l'histoire des Comtes.

Hugues 1093-1025

A la mort de Thibaut Ier, Etienne Henri avait gardé la plus belle part, laissant les restes à ses demi-frères. Philippe est rentré dans les ordres (il sera évêque de Chalons), c'est donc Eudes IV qui récupère cette part puis à son décès en 1093, Hugues. C'est aussi en 1093 qu'il épouse Constance de France, fille aînée du roi Philippe Ier.
C'est Hugues qui va organiser cet amas de comtés disparates en une unité et c'est le premier a porté le titre de comte de Champagne tout en restant le vassal de son demi-frère Etienne Henri puis de son neveu Thibault II.
Tout entier aux affaires religieuses et à ses prières, il ne s'occupe pas de sa femme. Au bout de dix ans de mariage, c'est la rupture. C'est Philippe Ier lui-même qui apportera devant le concile les preuves de la consanguinité, mariage annulé fin 1105.
De 1104 à 1107, Hugues est en Palestine, sans publicité on ne sait rien de son action. En 1113 il épouse en secondes noces Elisabeth de Varais, sœur du duc de Bourgogne, mais il ne la rendra pas plus heureuse que Constance. De 1113 à 1116, il est à nouveau en Palestine. Il veut rentrer dans les Frères Hospitaliers mais sa femme refuse de faire vœu de chasteté.
En 1126, convaincu de l'infidélité de sa femme, il déshérite Eudes, le fils qu'elle a eu et fait de son neveu  Thibaud II son héritier (Eudes sera quand même doté par son grand-père, le duc de Bourgogne et sera tête de lige de la maison de Champlitte). Hugues repart cette fois pour rejoindre les chevaliers du Temple. Fondu dans leur anonymat, on ne sait pas où il est mort et enterré.

Son règne, tout en discrétion, fut pourtant l'époque d'Abélard, de saint Bernard et des Templiers.
Abélard, ses amours coupables avec Héloïse l'ont cloîtré à l'abbaye de Saint Denis. Après un passage à Saint Ayoul de Provins, il fonde en 1123 "Le Paraclet" à coté de Nogent sur Seine qui sera donné à Héloïse en 1129 pour en faire un couvent de femme. Célèbre théologien, il fut pourtant condamné pour hérésie par le concile de Sens en 1140, avant de décéder en 1142 en paix avec l'église.
Saint Bernard s'installe à Clairvaux en 1115 avec une douzaine de moines venus de Citeaux en Bourgogne. Bernard a 23 ans et est issu d'une famille noble de Fontaine les Dijon. Prière, pauvreté et salut par le travail manuel, c'est la règle cistercienne ou bénédictine. L'esprit monastique que développe Bernard est fondé sur l'approfondissement de soi-même qui conduit à la découverte de l'homme intérieur en rupture avec l'esprit de Cluny basé sur le rite et la liturgie. Dès 1116 est créé Trois Fontaines, la première des 164 abbayes-filles que comptera Clairvaux à la mort de Bernard en 1153.

Lors de ses expéditions en Terre Sainte, en 1104 comme en 1113, Hugues est accompagné par l'un de ses vassaux, Hugues de Payns. Celui-ci ne rentre pas en 1116 et avec huit autres chevaliers, il fonde une milice chargée de protéger les pèlerins. Le roi de Jérusalem leur donne comme résidence le temple de Salomon, d'où leur nom de chevaliers du Temple puis Templiers. Hugues de Payns en est le premier grand maître et vient présenter la "règle" du Temple devant le concile de Troyes en 1129. Deux cent ans plus tard, en 1307, l'Ordre des Templiers, le plus puissant banquier d'Europe est à la tête de près de 9000 commanderies. On sait que le 13 octobre 1307, Philippe Le Bel ordonna leur arrestation et que le 12 mai 1310, 54 templiers furent brûlés à la porte Saint Antoine de Paris.

Le livre d'Henri Ehret : "Passe avant le meilleur" ou l'histoire de ces comtes qui ont fait la Champagne, aux éditions Renaissance, Troyes.
Le site Internet d'Arnaud Baudin : http://lamop-intranet.univ-paris1.fr/baudin/
Les livres d'Arbois de Jubainville : Histoire des ducs et comtes de Champagne, 7 volumes.
La thèse de Michel Bur : La formation du comté de Champagne, Nancy 1977.

samedi 17 janvier 2015

Comtes de Champagne (2)

Thibaud Ier  (1037-1089)


Au décès de son père Eudes II le Champenois, Thibaud obtient les comtés de Blois, Tours, Châteaudun et Sancerre plus Château-Thierry, Provins et Saint Florentin et son frère Etienne les comtés de Meaux et Troyes plus Vitry et l'abbaye Saint Médard de Soissons.
Tout de suite les deux frères commencent par une guerre contre le roi de France Henri Ier à qui ils reprochent de ne pas avoir aidé leur père contre l'empereur comme le voudrait la coutume féodale. Le roi s'allie au comte d'Anjou et les bat en 1044. Etienne s'enfuit mais Thibaud est fait prisonnier. Au bout de trois jours, il donne la Touraine pour prix de sa liberté. Peu de temps après, Etienne décède ne laissant qu'un fils, Eudes. Thibaud en devient le tuteur se retrouvant ainsi à la tête de la même entité bléso-champenoise de son père.
Fort de sa première expérience, Thibaud se rapproche d'Henri Ier. Il est assidu à la cour et participe derrière le roi en 1054, 1057 et 1058, aux batailles contre le duc de Normandie, Guillaume dit "Le Bâtard" (qui deviendra "Le Conquérant"). Cette fidélité au roi n'a qu'un but, que celui-ci médiatise la Champagne, c'est à dire que le comté de Champagne devienne un fief du comté de Blois, et il l'obtient.
Ainsi à sa majorité en 1058, Eudes, au lieu d'être l'égal de Thibaud comme l'était son père, n'en est que le vassal. Il ne le supporte pas. Aussi pour trouver des alliés, il inféode quelques châteaux et abbayes afin de faire la guerre à son oncle. Mais heureusement pour Thibaud, en 1066, il part avec Guillaume le Conquérant à la conquête de l'Angleterre où il fera carrière. Devenu comte d'Aumale et d'Holderness, il épouse une sœur de Guillaume Le Conquérant. Mais quelques années plus tard, pour avoir voulu faire monter son fils sur le trône en lieu et place de l'héritier légitime, Eudes finira ses jours dans un cachot anglais sans avoir jamais revu la Champagne.
Maître de l'héritage d'Eudes dès 1066, Thibaud aurait pu être tranquille s'il n'y avait eu Raoul de Valois, un encombrant voisin. Il lui fera longtemps la guerre sans jamais réussir à le déloger. A cette époque, fin de guerre égale mariage. Ainsi Thibaud épouse en troisième noces, Adèle fille de Raoul et d'Adélaïde de Bar-sur-Aube. Raoul de Valois meurt en 1074 et coup de chance, son fils Simon prend l'habit à Saint Claude en 1077. Le roi de France Philippe Ier à qui il revient de répartir l'héritage garde le Vexin, donne Amiens à l'évêque, le Valois à un beau-frère et donne à l'autre beau-frère, Thibaud, le comté de Bar-sur-Aube plus Vitry et le château de Bussy.
C'est l'époque de la réforme grégorienne commencée sous Louis IX en 1049 qui aboutit avec Grégoire VII devenu pape en 1073. Les évêques ne sont plus nommés par le roi, de même pour les abbés dont les abbayes vont dépendre de Cluny ou de Marmoutiers. Thibaud adopte totalement cette réforme puisqu'elle lui permet de s'affranchir du roi tout en restant un bon vassal. Cette réforme est essentielle pour le développement du monachisme au XIIe siècle.
Thibaud Ier c'est aussi l'âge d'or du judaïsme médiéval. Présent depuis l'époque gallo-romaine, les juifs champenois accueillent ceux qui fuient le domaine royal et les persécutions de Robert Le Pieux. Pour Thibaud, ce sont ses juifs, même s'ils payent plus d'impôts que les chrétiens; ils sont répartis dans une trentaine de communautés en Champagne. C'est en 1040 que naît à Troyes, Rachi qui après des études en Allemagne reviendra à Troyes et passera sa vie à commenter la Bible et la Tora. Depuis Rachi, aucune génération juive ne peut lire la bible ou le talmud sans se poser la question "et que dit Rachi". Il décède en 1105 à Troyes. Il était appelé Maître Salomon et le nom de Rachi qui lui survit est un raccourci de RAbbi CHolmo Isaaki (rabbin Salomon fils d'Isaac).
A son décès en 1089, Thibaud Ier laisse de son mariage avec Gersent du Mans un fils, Etienne Henri qui sera comte de Blois et de Champagne. De son mariage avec Adèle de Bar-sur-Aube, il laisse trois fils : Philippe sera évêque de Chalons, Eudes IV sera peu de temps comte de Champagne puisqu'il meurt en 1093, Hugues qui sera comte de Champagne de 1093 à 1125 (voir la généalogie des comtes de Champagne).

Comparaison des processions de Thibaud Ier et de celles du roi de France

dimanche 4 janvier 2015

Comtes de Champagne (1)

Montigny-Lencoup est aujourd'hui dans la région Ile de France mais le village a fait partie de la Champagne pendant plusieurs siècles. Si aujourd'hui la Champagne est mondialement connue grâce à son vin, elle fut au cours du moyen-âge le centre des principaux échanges économiques, politiques et religieux. Les comtes ont fait de la Champagne l'un des fiefs les plus puissants du royaume de France; voici leur histoire.
Les possessions en Champagne qui ont été réunies par Herbert II de Vermandois, furent partagées entre ses enfants pour finalement échoir à Eudes, le comte de Blois.

Eudes II Le Champenois 1004-1037


A la mort de son père Eudes I de Blois qui décède le 12 mars 996, Eudes II est mineur. Sa mère, Berthe de Bourgogne, se jette dans le lit de Robert Le Pieux, fils d'Hugues Capet et héritier du royaume de France. Celui-ci vient de répudier la femme que lui avait imposée Hugues Capet car elle était trop vieille et ne lui donnait pas d'enfant. Bien que Robert soit déjà roi, Hugues Capet s'oppose à ce mariage interdit par la consanguinité et l'affinité spirituelle. Mais il décède fin novembre 996 et sa tombe à peine refermée, Robert épouse Berthe. Le pape Grégoire V lance l'anathème sur le couple et l'interdit sur le royaume. C'est dans cette cour au parfum de scandale que grandit Eudes II. Il lui faut attendre la mort de son frère aîné en 1004 pour devenir comte de Blois. Dès son avènement il fait de nombreuses guerres principalement contre son voisin le comte d'Anjou mais aussi contre le roi son beau-père et d'autres.
Robert Le Pieux pour rentrer dans le droit chemin épouse en 1005 Constance de Toulouse mais dix ans plus tard, il est las de son caractère dominateur et de ses intrigues. Et Berthe revient en grâce. Eudes fait le voyage à Rome pour plaider la cause de sa mère. Sans succès. En 1021 quand son cousin germain Etienne, comte de Troyes et de Meaux décède, Robert fait bien imprudemment de Eudes son successeur. Sans aucune reconnaissance puisque celui-ci profite de sa puissance accrue pour recommencer ses guerres contre le roi. Peu de temps après le roi prononce le commise sur les terres d'Eudes (confiscation).
Après le décès de leur fils aîné s'engage une bataille entre Robert Le Pieux et sa femme; lui promeut leur deuxième fils, Henri, et elle veut faire du troisième le futur roi de France. Tous les barons sont obligés de choisir leur camp. Eudes a choisi le bon, celui du roi, qui en 1027 lui rend ses terres.
En 1032, Eudes se lance dans la succession du royaume de Bourgogne dont il est l'héritier le plus direct par sa mère. Mais son concurrent est l'Empereur Conrad II à qui le roi Rodolphe II de Bourgogne a fait donation de sa couronne. Eudes rentre en guerre contre Conrad II et il décédera sur le champ de bataille, le 15 novembre 1037, alors que son armée marchait sur Aix-la-Chapelle.


Il n'a rien fait en Champagne et si l'histoire l'appelle  Eudes "Le Champenois", c'est pour rappeler la chance qu'il a eu d'hériter de la Champagne. Thibaud, son fils aîné, va hériter du comté de Blois et Etienne, le cadet, du comté de Champagne.

Liens de la maison de Blois-Champagne avec Charlemagne


Sources :
Le livre d'Henri Ehret : "Passe avant le meilleur" ou l'histoire de ces comtes qui ont fait la Champagne, aux éditions Renaissance, Troyes.
Le site Internet d'Arnaud Baudin : http://lamop-intranet.univ-paris1.fr/baudin/
Les livres d'Arbois de Jubainville : Histoire des ducs et comtes de Champagne, 7 volumes.
La thèse de Michel Bur : La formation du comté de Champagne, Nancy 1977.