mardi 3 février 2015

Comté de Champagne (3)

Etienne Henri 1089-1102

Henri est né en 1047. Bien avant sa mort, Thibaud Ier lui a donné en 1074 le gouvernement du comté de Blois. Il se marie avec Adèle, la fille ainée de Guillaume Le Conquérant. Comme son père, il va respecter scrupuleusement ses devoirs de vassal.
En 1089, à la mort de Thibaud 1er, il garde le comté de Blois, Château Thierry, Saint Florentin et Provins et il rajoute à l'héritage traditionnel le comté de Meaux (peut-être sur les conseils de son beau-père Guillaume le Conquérant et du coup le roi de France, Philippe Ier, délaisse Orléans pour se recentrer sur Paris) et il garde bien sûr la seigneurie sur tout le reste.
Philippe Ier vieillissant est en proie à une coupable passion pour Bertrade de Montfort (épouse du comte d'Anjou) et il s'enferme dans le sombre palais de la Cité à Paris (il est excommunié pour bigamie et inceste). Dans le même temps la cour de Blois brille de tous feux, la beauté et la culture de la princesse Adèle y attire de nombreux poètes. Le comte Etienne Henri est maitre d'un domaine beaucoup plus grand que celui du roi (il a soit disant un château par jour de l'année) et est sûrement plus puissant que le roi. Pourtant il rêve d'avoir plus et en 1095 ce rêve c'est Jérusalem, la Terre Sainte qu'il faut libérer des infidèles.
Le pape promettant de donner les terres à ceux qui les avaient conquises, il y avait déjà eu des croisades, principalement en Espagne, mais rien à voir avec celle qui restera dans l'histoire sous le nom de première croisade. Elle est prêchée par Urbain II à Clermont Ferrand, au cœur de la France, il en profite d'ailleurs pour réitérer l'excommunication de Philippe Ier. Les pauvres partent en premier et arrivent en 1096 à Constantinople, ils seront tous tués, aucun ne verra la Terre Sainte. Ensuite partent les chevaliers de Lorraine, Wallonie et Brabant conduits par Geoffroi de Bouillon. Puis l'expédition du comte de Toulouse. Puis les Normand (ceux d'Italie du sud). Et enfin les français du nord avec Robert Courteheuse, frère du roi d'Angleterre, Robert de Vermandois, frère du roi de France et Etienne Henri, comte de Champagne, bien sûr. Ils arrivent le 14 mai 1097 et commence le siège d'Antioche en octobre, il se prolongera jusqu'à Pâques 1098. Quand Etienne Henri apprend par ses éclaireurs l'arrivée de la grande armée turque de l'émir de Mossoul, il lève l'ancre avec une petite troupe. En passant à Constantinople, il annonce même à l'empereur que les francs ont été battus. De retour en Champagne, quelle honte pour lui d'apprendre que les francs doper par la découverte de la sainte lance ont bousculé l'armée de l'émir et dans la foulée pris Antioche le 3 juin 1098 puis Jérusalem le 15 juillet 1099.
Sa femme Adèle sera la première à le pousser à repartir, ce qu'il fera deux ans plus tard. Et il mourra en héros, face à Ramla en 1102, rachetant ainsi sa couardise. Sa mort donner pour la gloire de la Champagne fera du pèlerinage à Jérusalem un élément fort de l'histoire des Comtes.

Hugues 1093-1025

A la mort de Thibaut Ier, Etienne Henri avait gardé la plus belle part, laissant les restes à ses demi-frères. Philippe est rentré dans les ordres (il sera évêque de Chalons), c'est donc Eudes IV qui récupère cette part puis à son décès en 1093, Hugues. C'est aussi en 1093 qu'il épouse Constance de France, fille aînée du roi Philippe Ier.
C'est Hugues qui va organiser cet amas de comtés disparates en une unité et c'est le premier a porté le titre de comte de Champagne tout en restant le vassal de son demi-frère Etienne Henri puis de son neveu Thibault II.
Tout entier aux affaires religieuses et à ses prières, il ne s'occupe pas de sa femme. Au bout de dix ans de mariage, c'est la rupture. C'est Philippe Ier lui-même qui apportera devant le concile les preuves de la consanguinité, mariage annulé fin 1105.
De 1104 à 1107, Hugues est en Palestine, sans publicité on ne sait rien de son action. En 1113 il épouse en secondes noces Elisabeth de Varais, sœur du duc de Bourgogne, mais il ne la rendra pas plus heureuse que Constance. De 1113 à 1116, il est à nouveau en Palestine. Il veut rentrer dans les Frères Hospitaliers mais sa femme refuse de faire vœu de chasteté.
En 1126, convaincu de l'infidélité de sa femme, il déshérite Eudes, le fils qu'elle a eu et fait de son neveu  Thibaud II son héritier (Eudes sera quand même doté par son grand-père, le duc de Bourgogne et sera tête de lige de la maison de Champlitte). Hugues repart cette fois pour rejoindre les chevaliers du Temple. Fondu dans leur anonymat, on ne sait pas où il est mort et enterré.

Son règne, tout en discrétion, fut pourtant l'époque d'Abélard, de saint Bernard et des Templiers.
Abélard, ses amours coupables avec Héloïse l'ont cloîtré à l'abbaye de Saint Denis. Après un passage à Saint Ayoul de Provins, il fonde en 1123 "Le Paraclet" à coté de Nogent sur Seine qui sera donné à Héloïse en 1129 pour en faire un couvent de femme. Célèbre théologien, il fut pourtant condamné pour hérésie par le concile de Sens en 1140, avant de décéder en 1142 en paix avec l'église.
Saint Bernard s'installe à Clairvaux en 1115 avec une douzaine de moines venus de Citeaux en Bourgogne. Bernard a 23 ans et est issu d'une famille noble de Fontaine les Dijon. Prière, pauvreté et salut par le travail manuel, c'est la règle cistercienne ou bénédictine. L'esprit monastique que développe Bernard est fondé sur l'approfondissement de soi-même qui conduit à la découverte de l'homme intérieur en rupture avec l'esprit de Cluny basé sur le rite et la liturgie. Dès 1116 est créé Trois Fontaines, la première des 164 abbayes-filles que comptera Clairvaux à la mort de Bernard en 1153.

Lors de ses expéditions en Terre Sainte, en 1104 comme en 1113, Hugues est accompagné par l'un de ses vassaux, Hugues de Payns. Celui-ci ne rentre pas en 1116 et avec huit autres chevaliers, il fonde une milice chargée de protéger les pèlerins. Le roi de Jérusalem leur donne comme résidence le temple de Salomon, d'où leur nom de chevaliers du Temple puis Templiers. Hugues de Payns en est le premier grand maître et vient présenter la "règle" du Temple devant le concile de Troyes en 1129. Deux cent ans plus tard, en 1307, l'Ordre des Templiers, le plus puissant banquier d'Europe est à la tête de près de 9000 commanderies. On sait que le 13 octobre 1307, Philippe Le Bel ordonna leur arrestation et que le 12 mai 1310, 54 templiers furent brûlés à la porte Saint Antoine de Paris.

Le livre d'Henri Ehret : "Passe avant le meilleur" ou l'histoire de ces comtes qui ont fait la Champagne, aux éditions Renaissance, Troyes.
Le site Internet d'Arnaud Baudin : http://lamop-intranet.univ-paris1.fr/baudin/
Les livres d'Arbois de Jubainville : Histoire des ducs et comtes de Champagne, 7 volumes.
La thèse de Michel Bur : La formation du comté de Champagne, Nancy 1977.