vendredi 25 avril 2014

Les derniers Trudaine

Philibert Trudaine et Marie Rosalie Bouvard de Fourqueux ont eu deux garçons et une fille Marie Françoise, morte jeune. 
De Charles Louis Trudaine de Montigny, l'aîné, et Charles Michel Trudaine de la Sablière, seul le premier est seigneur de Montigny-Lencoup, mais leur sort étant étroitement lié jusqu'à la mort, il est difficile de séparer leur histoire. En effet les deux frères qui n'avaient qu'une dizaine d'années au décès de leurs parents, ne sont connus que par leur triste fin en 1794 en pleine terreur.

Madame Trudaine par David
(musée du Louvre)
Charles Louis est baptisé le 18 septembre 1764 en l'église Saint Nicolas des Champs à Paris. Après des études juridiques, il est avocat au Châtelet et conseiller au Parlement de Paris. Le 16 juin 1789, il épouse Marie Louise Micault de Courbeton fille de Jean Micault, Président du Parlement de Bourgogne, et de Marie Françoise Trudaine, une lointaine cousine de son mari (Courbeton est un fief de Saint-Germain-Laval). Les Trudaine reçoivent à Montigny-Lencoup comme dans leur hôtel de Paris, place des Vosges, de nombreux artistes dont le poète André Chenier ou le peintre David. Celui-ci a d'ailleurs fait un tableau de Madame Trudaine qui est aujourd'hui au musée du Louvre, à voir ci-contre. Trudaine de Montigny poursuit la politique foncière de ses aïeux  en achetant plusieurs fermes de l'abbaye de Preuilly lors de la vente des biens nationaux. Le 28 avril 1791, il achète les deux fermes comprises dans l'enceinte de l'abbaye (des Domaines et de Beauvais), le 6 juillet, la ferme de Gratteloup juste au-dessus de l'abbaye et le 8 août, le moulin d'Estrée avec ses aulnaies et ses prés.
Charles Michel est baptisé à Saint Nicolas des Champs le 2 mai 1766. Comme son frère, il est avocat et conseiller au Parlement de Paris. De santé très précaire, on ne parle de lui que toujours associé à son frère. Sans union, il a pourtant une fille naturelle, Elisabeth Françoise, qui au décès de ses parents, sera adoptée par sa grande tante et portera le nom de Bouvard de Fourqueux. 

Le 27 germinal an II (10/04/1794), Jean Micault le beau-père de Trudaine, Président au Parlement de Dijon, est guillotiné. Son fils aîné et son gendre, Trudaine, sont alors inscrits sur la liste des suspects. Deux gardes viennent arrêter Trudaine au château de Montigny. Vivant (Vivant est son prénom) Micault, son beau-frère, est arrêté quelques jours plus tard à Paris. Et c'est par solidarité avec son frère dont il n'avait jamais été séparé, que Michel Trudaine de la Sablière est arrêté, à sa demande, trois semaines après. Ils sont incarcérés à la prison de Saint-Lazare où ils retrouvent leur ami André Chenier.
Lors de l'arrestation, plusieurs habitants de Montigny-Lencoup sont venus offrir à Trudaine d'escamoter les gardes en charge de l'arrêter. Il refuse de peur de les mettre en danger. Ensuite les habitants ont envoyé demandes sur demandes pour obtenir la libération des frères Trudaine, en vain. Ces réclamations ont exaspéré Robespierre qui prie Fouquier-Tinville de l'en débarrasser. Ce sera un arrêt de mort car celui-ci invente une prétendue conspiration où les prisonniers, une fois évadés, devaient assassiner les membres du Comité de Salut public. Cette mascarade de procès va livrer cinquante sept condamnés à mort, mascarade puisque le jeune Trudaine est arrivé à la prison dix huit jours après le prétendu complot. Chenier est guillotiné le 7 thermidor, les frères Trudaine le 8 et le lendemain, c’est la chute de Robespierre qui les suit sur l’échafaud le 10. La terreur est terminée! Il a manqué deux jours aux Trudaine.

Comme il n'avait aucun héritier direct, les biens de Trudaine de Montigny furent partagés entre les collatéraux, un seizième seulement revint à sa veuve. La santé de Madame Trudaine a été sérieusement ébranlée par ces événements. Elle habita encore le château quelques années puis malade et languissante, elle alla mourir à Genève, à l'âge de trente trois ans, le 11 brumaire an XI (02/11/1802). Son corps fut ramené de Genève et inhumé dans le chœur de l'église de Montigny-Lencoup.

Ainsi s'achève l'histoire des Trudaine à Montigny-Lencoup. La plaque sur la fontaine, place Trudaine, traduit bien les bonnes relations qu'ils avaient avec les habitants.

mardi 1 avril 2014

Philibert Trudaine, la troisième génération

Jean Charles Philibert Trudaine de Montigny naît le 19 janvier 1733 à Clermont-Ferrand fils de Daniel Trudaine et Marie Marguerite Chauvin. 
Son père, conscient de la part croissante des sciences abstraites, lui fait étudier les mathématiques puis la physique et la chimie. Dès 1757, il est l’associé et le collaborateur de son père dans toutes ses fonctions. A la mort de celui-ci en 1769, il le remplace comme Grand Voyer de France et comme directeur du Commerce et des Manufactures. Lorsqu'il se présente à Louis XV, il lui propose d’exercer gratuitement les charges de son père et le Roi va répondre avec finesse : « on me demande si rarement une pareille grâce que, pour la singularité, je vous l’accorde ».
Comme son père, Philibert Trudaine est ami des physiocrates (la physiocratie est  l’école de pensée économique et politique, née en France vers 1750, qui contribue de manière décisive à forger la conception moderne de l'économie et à placer la réflexion et la pratique de l'économique dans un cadre de référence plus autonome... http://fr.wikipedia.org/wiki/Physiocrate) et défenseur des libertés économiques. Ainsi il est fondateur en 1761, avec Bertin et Turgot, de la première société d’agriculture et en 1765 il aide à la fondation du "Journal d'Agriculture". En 1764, il devient membre associé de l'Académie des Sciences où, grâce à sa fortune, il joue un rôle de mécène notamment en finançant la création du "Journal de Physique" et en dotant de nombreux prix scientifiques de l'Académie.

Au château de Montigny, il a fait construire un théâtre et aussi un laboratoire. Il y reçoit tous ses amis artistes, politiques et scientifiques : Malesherbes, Turgot, Montesquieu, Diderot, Lavoisier, Clairaut… Avec Lavoisier il va, par exemple, faire fabriquer et essayer à Montigny une lentille bien plus grande que toutes celles existantes pour faire des expériences de chimie (et non de physique : il s'agit de bruler à forte température sans que des produits de la combustion, du charbon par exemple, n'influe sur les résultats des expériences).
Les lentilles ardentes de Lavoisier
Trudaine partage les idées économiques de Turgot, le ministre des finances de Louis XVI, son ami d'enfance (le père de Turgot est seigneur de Châtillon-sur-Seine). Lorsque le 12 mai 1776, le Roi donne l'ordre à Turgot de se retirer, par solidarité Trudaine démissionne de toutes ses fonctions.

Philibert Trudaine se marie en 1756 avec Françoise Bernardine Gagne de Périgny dont il n'aura pas d'enfant. En 1762, veuf, il épouse en secondes noces Marie Rosalie Bouvard de Fourqueux dont le père sera lui aussi ministre de Louis XVI (même les vrais historiens ont le droit de ne pas connaitre Michel Bouvard de Fourqueux, car il ne fut ministre que du 10 avril au 1er mai 1787). Deux enfants vont naître de cette union en 1765 et 1767, Charles Louis et Charles Michel qui feront l'objet d'un autre billet. Son épouse meurt en 1776 et lui décède en son château de Montigny le 5 août 1777 à l'âge de 44 ans.